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Ted Rogers: Un géant et un visionnaire


    TORONTO, le 2 déc. /CNW/ - C'est avec une immense tristesse que le
Conseil d'administration de Rogers Communications inc. annonce le décès de son
collègue, directeur et ami, Edward Samuel "Ted" Rogers, fondateur de la
société, pionnier de l'industrie des communications et icône du monde des
affaires au Canada. M. Rogers était âgé de 75 ans.
    M. Rogers, connu pour son énergie inépuisable, a fait de l'entreprise
canadienne Rogers Communications un chef de file en Amérique du Nord en
matière de communications sans fil, de câblodistribution, de diffusion
radiophonique, d'édition, et bien plus encore. Le nom de M. Rogers est
synonyme d'innovation, de produits de communications de grande qualité au pays
et de produits permettant d'améliorer et de simplifier la vie des Canadiens.
    Il laisse dans le deuil son épouse, Loretta, leurs enfants Lisa, Edward
(Suzanne), Melinda (Eric) et Martha, et quatre petits-enfants : Chloé, Edward,
Jack et Zachary.
    L'autobiographie de M. Rogers (rédigée en collaboration avec Robert
Brehl) intitulée Relentless: The True Story of the Man Behind Rogers
Communications a été publiée par HarperCollins en octobre 2008. Elle est
rapidement devenue un best-seller. A l'image de M. Rogers. Le livre raconte de
manière spontanée et honnête la vie d'un entrepreneur légendaire qui parle de
ses réussites et de ses échecs; il amène le lecteur à voir au-delà du nom de
l'institution et à faire connaissance avec l'homme qui le porte.
    Ted Rogers appartenait à un groupe sélect de gens dont les réalisations
ont dépassé celles de leurs parents. Etant enfant, son père, Edward Rogers, a
été acclamé dans le monde entier au début du 20e siècle comme un "génie"
précoce : il a inventé la radio électrique et a travaillé à la création
d'autres appareils de communications qui font désormais partie de la vie
courante, comme le téléviseur ou le radar.
    M. Rogers père est décédé prématurément en 1939, à l'âge de 38 ans.
"J'avais cinq ans quand il est mort", a raconté Ted Rogers. "C'est à partir de
ce moment que ma mère, Velma Taylor Rogers Graham, m'a transmis le goût du
travail et de reconstruire ce qui avait été perdu. Et surtout, elle m'a poussé
à ne jamais baisser les bras."
    C'est exactement ce que Ted Rogers a fait. Rogers Communications inc.
détient la plus importante société de communications sans fil au Canada, la
plus vaste société de câblodistribution au pays, les Blue Jays de Toronto et
le Centre Rogers (appelé SkyDome dans le passé), 52 stations de radio,
plusieurs biens télévisuels dont cinq chaînes CityTV, cinq chaînes
multiculturelles OMNI, les chaînes Rogers Sportsnet et the Shopping Channel
ainsi que plus de 70 magazines grand public.
    Le magazine Forbes a déjà parlé de M. Rogers en ces termes : "Le gourou
canadien de l'édition le plus passionné au monde" et "un lion en hiver".
Toutefois, pour un éternel optimiste comme M. Rogers, seuls le printemps et
l'été comptaient, de même que le prochain contrat qu'il pourrait conclure ou
le prochain produit novateur qu'il pourrait lancer, qu'il s'agisse de la radio
FM et du signal du câble d'une grande clarté dans les années 60, du téléphone
cellulaire dans les années 80 ou encore du service Internet haute vitesse et
du courriel, des messages vidéo et de la navigation à partir d'un sans-fil
dont nous bénéficions de nos jours.
    En le nommant homme de l'année 2000, le magazine Toronto Life l'a
rebaptisé "M. Toronto". En quelques mois, Ted Rogers s'est imposé non
seulement en sauvant l'équipe de baseball de la ville, les Blue Jays de
Toronto, mais aussi avec son épouse Loretta, en faisant don de 25 millions de
dollars à l'université de Toronto (le plus gros don d'un particulier jamais
reçu par cette institution) et de 10 millions de dollars à l'Université
Ryerson. En mai 2007, il a versé 15 millions de dollars de plus à l'Université
Ryerson.
    "L'éducation peut refaçonner un pays, une ville et en faire quelque chose
de nouveau en à peine une génération", a confié M. Rogers au Toronto Life.
    Au fil des ans, les époux Rogers ont versé des dizaines de millions de
dollars à des organismes de charité comme le Toronto General Hospital, le
Toronto Western Hospital, le Sunnybrook Health Sciences Centre, le Woodstock
General Hospital, Sheena's Place et la clinique Mayo à Rochester, au
Minnesota, où M. Rogers a subi une chirurgie cardiaque.
    En 1990, M. Rogers a été fait Officier de l'Ordre du Canada et, en 1994,
il est devenu membre du Temple de la renommée de l'entreprise canadienne. En
2002, M. Rogers a été le premier Canadien à être intronisé au Cable Hall of
Fame de Denver. De plus, en 2002, M. et Mme Rogers ont été nommés mécènes de
l'année par l'Association of Fundraising Professionals. Au fil des ans, M.
Rogers a été récompensé par des universités nord-américaines qui lui ont
décerné huit doctorats honorifiques.
    Titulaire d'un diplôme de l'Université de Toronto et d'une licence en
droit de la faculté de droit Osgoode Hall Law School, M. Rogers est avocat de
formation, mais entrepreneur par nature. (Même à la fin de sa vie, sa carte
professionnelle portait la mention : "Ted Rogers, représentant des ventes
principal".)
    Pendant ses études à la faculté de droit en 1960, il a fait l'acquisition
de la station de radio CHFI grâce à un emprunt de 85 000 $. A l'époque, moins
de 5 pour cent de l'auditoire possédait un poste FM; de nos jours, CHFI est la
plus importante station de radio au Canada.
    "J'ai peut-être le talent de van Gogh pour la musique, mais je n'avais
aucun doute sur le fait que le son de qualité supérieure de la radio FM
constituait l'avenir de la radio", a-t-il déjà dit. Etant donné qu'un très
petit nombre de foyers torontois possédait des postes de radio FM, M. Rogers a
décidé d'acheter une grosse quantité de récepteurs FM et de les vendre au prix
coûtant pour accroître l'auditoire de CHFI. Durant cette période mouvementée,
il avait l'habitude d'envoyer sa secrétaire prendre des notes en classe à sa
place. Il a été admis au Barreau en 1962, mais n'a jamais exercé le droit.
    Bien que sa vie soit jalonnée de succès, M. Rogers demeure quand même une
énigme. Il pouvait aussi bien être charmant que laisser libre cour à son
tempérament légendaire. Il ne voulait pas que sa famille perde l'entreprise
qu'il avait fondée, comme ce fut le cas à la mort de son père, cependant il
faillit la perdre à plusieurs reprises en prenant des gros risques. Il avait
peur de mourir dans la fleur de l'âge, comme son père, mais se donnait
entièrement à son travail, mettant sa santé en péril, et travaillant même de
son lit d'hôpital à plus d'une reprise. Il n'avait aucun temps à consacrer au
sport, mais il a eu une influence considérable dans le domaine des sports au
Canada en faisant l'acquisition des Blue Jays et par le rôle que joue son
entreprise dans le tennis professionnel et amateur.
    M. Hal Jackman, ancien lieutenant-gouverneur de l'Ontario, est un ami de
longue date et un ancien camarade de classe de M. Rogers. Dans une entrevue,
M. Jackman a décrit son ami en ces termes, qui définissent probablement le
mieux sa personnalité : "Ted ne se repose pas sur ses lauriers".
    Les ancêtres de M. Rogers étaient des Quakers de Nouvelle-Angleterre qui
ont immigré au Canada en 1801 et qui se sont installés à Newmarket, au nord de
Toronto.
    L'entrepreneuriat coule dans les veines de la famille Rogers. Son arrière
grand-père, Samuel Rogers, avait fondé une société de distribution de mazout
qu'il a par la suite vendue à Imperial Oil. Le frère de Samuel, Elias, a mis
sur pied une grande société charbonnière portant le nom de Rogers. (Samuel
Rogers a été le co-fondateur du Hospital for Sick Children sur College St. en
1892, laissant déjà présager l'oeuvre philanthropique de son descendant.)
    Le père de Ted Rogers, Edward S. Rogers, est né en 1900, alors que se
préparait une révolution dans le monde des communications. "Bien qu'il soit
mort quand je n'avais que cinq ans, il est sans conteste celui qui a inspiré
mon intérêt pour la diffusion et les télécommunications", a confié Ted Rogers.
En plus d'inventer la lampe de radio à courant alternatif, M. Rogers père a
fondé la station de radio CFRB (Canada's First Rogers Batteryless) en 1927.
    Ted Rogers est né le 27 mai 1933. C'était un enfant chétif, et les
médecins dirent à ses parents qu'il ne survivrait pas. (Il est ironique de
constater qu'au cours de sa carrière, le même pronostic a été associé à
plusieurs reprises à son entreprise, mais chaque fois ses détracteurs ont eu
tort.)
    M. Rogers père mourut en laissant le peu d'argent qu'il avait accumulé et
aucune assurance-vie. Les sociétés portant son nom furent alors vendues ou
fermées. Quand Ted eut 7 ans, sa mère l'envoya en pensionnat, d'abord au
Québec, puis à l'Upper Canada College à Toronto. Il y fut pensionnaire jusqu'à
l'âge de 17 ans. Ces années de pensionnat contribuèrent à façonner son
caractère. Il était souvent seul, et devint solitaire de plusieurs façons. Il
mit tout de même ces années à profit pour se lancer dans des entreprises
visant à soulager les autres garçons de leur argent de poche. Ces activités
commerciales lui attirèrent souvent des ennuis et de nombreux échecs.
    (Durant ces années, sa mère se remaria avec John Graham qui fut plus
qu'un beau-père pour Ted. Jusqu'à sa mort en 1998, M. Graham fut une force
tranquille dans la vie de M. Rogers qui comptait sur ses bons conseils
d'affaires.)
    Dans les années 50, M. Rogers fit véritablement ses premiers pas dans le
monde des affaires en s'attaquant au domaine de la musique : il assurait la
prestation d'orchestres (dont celui de Peter Appleyard), il louait des
systèmes de son, puis il prenait des photos Polaroid de couples. Il terminait
la soirée en proposant un spectacle de claquettes pour 10 $.
    En 1957, M. Rogers fit la rencontre de Loretta Anne Robinson lors d'une
fête à Nassau. Elle était la fille de Maysie et de Jack Robinson. Ce dernier
fut membre du parlement britannique pendant 33 ans et devint le très honorable
Lord Martonmere, gouverneur des Bermudes. La première fois qu'il rencontra son
futur beau-père, ils discutèrent politique sur le pas de la porte pendant une
demi-heure avant même que M. Rogers puisse entrer dans la maison. (M. Rogers
était un partisan conservateur de longue date et demeura tout acquis au
populiste John Diefenbaker pendant la carrière tumultueuse du premier
ministre.)
    Les entreprises de M. Rogers en affaires inquiétèrent parfois Jack
Robinson. Quand le jeune couple se fiança, le père de la fiancée prononça ce
toast à l'intention de son futur gendre : "Ce qui est à Loretta lui
appartient, mais ce qui est à vous se négocie."
    Après le mariage, M. Robinson dégela des fonds en fiducie de sa fille
pour que le couple puisse acheter une maison à Forest Hill en 1963. Il fit
toutefois promettre à M. Rogers que la maison ne serait jamais hypothéquée
pour financer ses activités commerciales.
    Après le décès de Lord Martonmere en 1989, M. Rogers amusa son auditoire
en racontant comment il avait souscrit trois hypothèques sur la maison pour
payer ses employés, mais qu'il n'avait jamais osé l'avouer aux parents de son
épouse!"
    Bien que M. Rogers laisse une entreprise solide et rentable, il n'en a
pas toujours été ainsi. "Il faut avoir le coeur solide pour être en affaires",
avait-il l'habitude de dire.

    Pour illustrer ce propos, M. Rogers racontait l'une de ses histoires
préférées :

    "Une année, nous n'avions pas assez d'argent pour payer tous nos
fournisseurs pendant une certaine période. Alors, après une réunion avec le
service de la paie, j'ai déposé toutes les factures dans un chapeau et je
choisissais au hasard celles qui seraient réglées jusqu'à ce que nous soyons à
court d'argent."
    "Pouvez-vous croire que certains créanciers n'appréciaient pas cette
méthode novatrice? Certains d'entre eux criaient au téléphone, ce qui me
donnait souvent mal à la tête. Je leur demandais d'arrêter de crier.
    "Toujours fâchés, ils me demandaient ce que je ferais s'ils continuaient
à crier. "C'est très simple, leur répondais-je, je ne mettrai pas votre
facture dans le chapeau la semaine prochaine!"
    "Personne ne m'a intenté de procès, tout le monde a fini par être payé,
avec des intérêts en plus. Personne n'a jamais perdu un sou en créances ou en
intérêts pour un compte Rogers." Quel que soit le nombre de fois où il a
raconté cette histoire, elle faisait son bonheur et ravissait son auditoire.
    En plus de CHFI, acquise au début de sa carrière, M. Rogers, tout comme
les familles Eaton et Bassett, détenait une portion de CFTO-TV, la première
station de télévision privée au Canada.
    Ses activités de diffusion prenant de l'expansion, une nouvelle
technologie suscita l'intérêt de M. Rogers. En 1967, il se lança dans la
câblodistribution et le reste, comme on dit, fait partie de la légende.
    Rogers a fait figure de pionnière en matière de télévision par câble dans
les années 60 et 70 en offrant une qualité d'image supérieure, un plus grand
nombre de chaînes au moyen de convertisseurs ainsi qu'une programmation
communautaire et multiculturelle. (L'innovation se poursuit aujourd'hui grâce
à Rogers Cable, chef de file nord-américain en développement et en déploiement
de service Internet haute vitesse ainsi qu'en matière de télévision numérique,
de vidéo sur demande et de téléphonie par câble.)
    En 1979, Rogers est devenue la plus importante société de
câblodistribution au pays en faisant l'acquisition de Canadian Cablesystems
Ltd., puis en 1980 de Premier Cablesystems à Vancouver pour consolider sa
présence sur le marché de la câblodistribution. Au début des années 80, Rogers
a fait son entrée sur le marché de la câblodistribution aux Etats-Unis et a
fait figure de leader parmi les câblodistributeurs américains. Rogers a
réalisé un bénéfice d'un milliard de dollars quand elle a vendu ses biens aux
Etats-Unis en 1989.
    Au milieu des années 80, Ted Rogers avait bien entamé sa cinquantaine, ce
qui ne le ralentissait pas pour autant, comme d'autres hommes de son âge. Au
contraire, il intensifiait ses activités.
    Pour financer sa stratégie expansionniste et axée sur l'innovation, M.
Rogers a rencontré en 1983 Michael Milken de Drexel, Burnham Lambert Inc. à
Beverly Hills et a été le premier à lancer un marché des obligations
industrielles à taux d'intérêt élevé au Canada.
    Familièrement appelées "obligations pourries", cet outil de financement
laissait une impression douce-amère à M. Rogers. Il méprisait la connotation
de "pourrie" qui y était associée et la façon dont elle pouvait se répercuter
sur sa famille. Quelques années plus tard, M. Rogers s'est efforcé de mettre
de l'avant une cote "d'évaluation d'investissements" pour son entreprise, et
il y est parvenu. Il ne fait aucun doute que bon nombre des accomplissements
de l'entreprise n'auraient pas été possibles sans le recours à des obligations
industrielles à taux d'intérêt élevé.
    En plus d'accroître le nombre de ses biens des deux côtés de la
frontière, M. Rogers fit son entrée sur le marché de la téléphonie sans fil en
1985 en s'associant avec Marc Belzberg et Philippe de Gaspé Beaubien pour
fonder Cantel.
    Alors que la transmission d'information pour la télévision passe par voie
radio jusqu'à un récepteur à fil, M. Rogers se dit que ce devrait être le
contraire pour les téléphones, en raison de l'évolution du mode de vie.
    Cette société connue aujourd'hui sous le nom de Rogers Sans-fil est le
plus important fournisseur de services sans-fil au pays, et celui dont la
croissance est la plus rapide. Comptant plus de sept millions d'abonnés d'un
océan à l'autre, l'entreprise dessert 93 % de la population canadienne.
    En 1989, Rogers s'est lancée dans le domaine de l'interurbain en faisant
l'acquisition de 40 pour cent de CN/CP Telecommunications (qui est devenue
Unitel par la suite). Tout a bien débuté en 1992, alors que le Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a décidé de
permettre à d'autres entreprises d'entrer en concurrence avec les compagnies
de téléphonie canadiennes, comme Bell Canada, qui, depuis un siècle,
détenaient le monopole du marché des communications interurbaines.
    Cette aventure fut, au bout du compte, l'erreur la plus coûteuse de Ted
Rogers. Quand Rogers Communications se sépara d'Unitel en 1995, l'entreprise
avait perdu 500 millions de dollars. Heureusement, l'entreprise était
suffisamment solide pour absorber la perte sans que M. Rogers ne la perde.
    A son habitude, Ted Rogers ne s'est pas laissé démonter et s'est roulé
les manches.
    "Ted dira parfois que les choses sont moins sombres qu'elles ne le sont
en réalité. Je sais que ce n'est pas vrai : la situation est sombre.
Cependant, Ted ne le croit pas, c'est ce qui fait sa force.", a déclaré une
fois Phil Lind, collaborateur de longue date de M. Rogers au sujet de ce
dernier.
    En cinq ans, Rogers a pu récupérer l'argent perdu dans l'aventure Unitel
ainsi qu'un milliard de dollars de plus grâce à une nouvelle entreprise : les
services de réseau de Rogers. Cette division fut vendue à AT&T Canada, qui
avait racheté Unitel.
    A l'âge de 60 ans, Ted Rogers fit preuve d'une audace inouie : Il racheta
Maclean-Hunter Ltd. C'était, en 1994, l'achat le plus important jamais vu dans
l'histoire des communications au Canada. Au bout du compte, Rogers a gagné la
bataille et a ainsi mis la main sur cette société de biens dans les domaines
du câble, de la diffusion et de l'édition pour la somme de 3,1 milliards de
dollars.
    "Ted n'a pas une vie professionnelle et une vie personnelle : c'est la
même chose pour lui, puisqu'il travaille 18 heures par jour, chaque jour", a
déclaré Phil Lind. "Quand nous avons racheté Maclean Hunter en 1994, nous ne
nous sommes pas assis sur nos lauriers. Ted ne s'est pas félicité de cette
conquête, puisqu'il se demandait toujours où cela allait le mener.
Qu'arriverait-il ensuite? Il sait qu'il sera dépassé par les événements s'il
ne tient pas fermement les rênes."
    Son éthique du travail était légendaire et il s'attendait à ce que
l'équipe de direction travaille aussi fort que lui. Sa personnalité et son
éthique de travail étaient telles qu'elles ont suscité un degré de fidélité
élevé chez ses collaborateurs.
    M. Rogers acceptait volontiers de se faire taquiner, et bien souvent, il
savait rendre la monnaie de sa pièce à qui le taquinait. M. Rogers et son
concurrent à Calgary, Jim Shaw, se livraient à une compétition amicale : qui
des deux hommes obtiendrait le plus grand nombre d'abonnés à Internet. Le
perdant inviterait le gagnant à souper. M. Rogers, ayant perdu le pari, fit
livrer au domicile de M. Shaw un boeuf vivant de 1 200 lb accompagné d'une
note : "Comme convenu, voici un gros STEAK".
    Au milieu des années 90, Rogers Cable fit face à un ennemi de taille :
les "étoiles de la mort" aussi connues sous le nom de récepteurs de signaux de
satellite. Ces appareils étaient suffisamment petits pour pouvoir s'installer
presque n'importe où et offraient une image de qualité numérique. Ce qui est
surprenant, c'est qu'au lieu de se retirer pour mûrir un plan, M. Rogers a
continué de mener ses activités en faisant fi des torpilles, et en fonçant à
toute vapeur.
    En cette période difficile, l'entreprise fit fausse route en adoptant
"l'abonnement par défaut". Ce processus de vente obligeait les clients à
informer leur fournisseur du câble s'ils ne désiraient pas s'abonner à de
nouveaux services, plutôt que d'obliger le fournisseur à "vendre" de nouveaux
services à ses clients. Cette pratique était répandue dans de nombreuses
industries, mais cette fois-ci, les consommateurs se rebellèrent.
    Rogers a rapidement fait machine arrière quelques jours après la
dénonciation par le public de cette façon de faire, mais le mal était déjà
fait.
    La fin des années 90 s'est révélée difficile pour M. Rogers et sa société
: l'action avait sombré à 4,80 $ en 1998 et Rogers avait accumulé une dette
qui inquiétait Bay St.
    Toutefois, Ted Rogers toujours optimiste persévéra : il promit à ses
clients et à ses investisseurs le lancement de nouveaux services renversants.
(M. Rogers terminait ses discours avec sa célèbre phrase : "Le meilleur est à
venir".)
    Il tint promesse : Les clients de Rogers purent rapidement se brancher à
Internet haute vitesse chez eux, obtenir la télévision numérique, profiter de
la messagerie texte et du courriel sur leur téléphone sans fil et télécharger
des sonneries.
    Dès l'arrivée du nouveau millénaire, M. Rogers se remit à faire des
acquisitions. En 2000, il acheta en grande pompe les Blue Jays de Toronto
grâce à l'indemnité de rupture des négociations versée à Rogers Communications
à la suite de l'échec de l'offre publique d'achat amicale de Vidéotron, le
géant de la câblodistribution au Québec.
    Puis, en 2004, M. Rogers s'est attaqué à une tâche monumentale. Telus
Corp. tenta une offre publique d'achat hostile pour s'emparer de Microcell
Communications et de sa marque sans-fil Fido. Cette entreprise était depuis
longtemps dans la mire de M. Rogers. Il croyait que Fido compléterait bien
Rogers Sans-fil en raison de leur culture d'entreprise semblable et parce que
les deux entreprises sans-fil étaient les seules au Canada à exercer leurs
activités sur la plateforme technologique GSM, faisant figure de norme
mondiale.
    Le problème était qu'AT&T Corp., le partenaire de Rogers Sans-fil,
empêchait M. Rogers de faire figure de chevalier venant sauver Fido. Alors, M.
Rogers racheta au prix de 1,8 milliard de dollars les actions de Rogers
Sans-fil détenues par AT&T et fit l'acquisition de Microcell Communications
pour 1,6 milliard de dollars. Cela semble plus simple que ce ne l'est
réellement, à l'image de tout ce que Ted Rogers faisait en affaires.
    Les revenus annuels de Rogers Communications, qui emploie 29 000
personnes, atteignent désormais 11 milliards de dollars.
    Deux de ses enfants, Edward et Melinda, ont suivi les traces de leur père
en travaillant pour l'entreprise familiale. Ils occupent chacun des postes de
haute direction chez Rogers. Edward est président de Communications Rogers
Câble inc. et Melinda est première vice-présidente, Stratégie et
développement, chez Rogers Communications.